Du 6 au 17 septembre avait lieu la 23e édition de l’Etrange Festival. L’occasion de se faire une cure de films pas comme les autres le temps d’un week-end parisien. On y trouve vraiment de tout et pour tous les goûts.
http://www.etrangefestival.com/2017/fr
Du documentaire, il y en a, comme par exemple ‘Libération Day‘ qui suit le groupe slovène (ex-Yougoslavie) Laibach tentant de mettre un place un concert en… Corée du Nord ! Ce groupe est connu pour reprendre l’esthétique martiale des régimes totalitaires, au point que certains critiques l’ont carrément qualifié de groupe nazi. Les musiciens et l’équipe technique doivent lutter pied à pied avec les délégués du régime de Pyongyang afin de préserver leur démarche artistique. Finalement le concert aura bien lieu, devant plus d’une centaine de Nord-Coréens assez stupéfaits et ne débordants pas vraiment d’enthousiasme. Pari réussi pour le groupe, mais vue l’actualité on peut s’interroger sur l’intérêt d’une telle entreprise : qui manipule qui au final ? Le miroir tendu aux régimes totalitaires ne fonctionne pas entièrement car le procédé est connu et ne surprend plus personne, même les sujets de Kim Jung-un.
Du côté de l’Espagne, le dernier film d’Alex de la Iglesia (avant le prochain déjà en préparation), ‘Pris au piège/El Bar’, mérite amplement une diffusion dans les salles. Ce n’est pas le cas de la France où le distributeur préfère une sortie en VOD et blu ray/dvd, mais une séance spéciale à l’EF permet de découvrir ce film fou sur un grand écran. Madrid, un bar de quartier. Quelques clients se retrouvent coincés alors que le chaos s’installe à l’extérieur. Fusillade meurtrière, suivi d’une étrange épidémie. Quand la peur, puis la paranoïa s’installent, les démons intérieurs de chacun se réveillent et c’est le verni de la société qui part en morceaux. Un régal et petit coup de coeur de ce festival ! Avec notamment la ravissante Blanca Suarez.
La Taïwanaise Shu Lea Cheang est de retour avec ‘Fluido‘, film expérimental/SF/porno. Tout comme avec son précédent ‘I.K.U.(Orgasme)‘ (2000), la réalisatrice met en place une ambiance inspirée de ‘Blade Runner’ pour enchaîner des scènes et installations artistico-érotiques. Dans cet univers dystopique, les contacts charnels sont prohibés par une police des moeurs et les fluides corporels (sperme et cyprine) ont remplacé la cocaïne. L’histoire n’est qu’un prétexte pour monter des scènes de masturbations masculines et féminines. Et des jets d’urine sur un mur. ‘Fluido‘ est un manifeste lesbien et gay qui reprend exactement les mêmes procédés que ‘I.K.U.’, mais en remplaçant les rouges par des tons plus clairs. Et là aussi, ce qui pouvait faire un court métrage original et engagé, devient vite ennuyeux en adoptant le format d’un long métrage. D’autant plus que ce discours/essai s’adresse principalement à une communauté, où les hétéros sont absents voire assimilés au « pouvoir totalitaire » de service.
‘Death Row Family‘ de Yuki Kobayashi raconte la déchéance d’une famille de yakuzas, des petits délinquants réduits à commettre des cambriolages pour payer leurs dettes et des crimes crapuleux. Seulement le vol ne rapporte plus rien et tuer, comme disait Hitchcock, est un acte long et difficile. Le film oscille entre drame et comédie, pas désagréable, mais vite oublié.
‘Replace‘ de Norbert Keil est l’histoire d’une jeune femme atteinte d’un vieillissement accéléré de la peau. De plus sa mémoire lui fait défaut, le présent et peut-être le passé se mélangent. Ca fait beaucoup pour une seule personne. Le scénario (de Richard Stanley) a tendance à multiplier les pistes et les thèmes, sans les développer. Le montage lui embrouille un peu l’histoire, mais la révélation finale viendra éclaircir tout ça. L’angoisse de rester jeune et belle se mue en film d’horreur corporelle, quand la victime découvre un moyen de conserver son apparence. Empruntant les mêmes pas que le jeune David Cronenberg, le réalisateur filme une jeune actrice talentueuse (Rebecca Forsythe) mais se croit obligé de surligner l’horreur à grand coup d’effets sonores : les basses sont poussées à fond sur toute la durée du film. Ce qui a pour effet de casser toute émotion ! On retiendra surtout la présence de Barbara Crampton (‘Re-Animator’, ‘The Lords of Salem’…) dans un rôle de médecin.
‘Ugly Nasty People/Brutti e Cattivi‘ de Cosimo Gomez succède à ‘On l’appelle Jeeg Robot’. Même (excellent) comédien principal Claudio Santamaria et même goût pour le cinéma de genre italien, avec cette touche de vulgarité qui faisait le régale de ce cinéma dans les années ’60-’70. Ici un gang de petites frappes uniquement composé d’handicapés prépare un gros coup sensé leur garantir une vie de rêve avec filles et villa de luxe. Mais il vaut mieux se méfier de ce genre de rêves, surtout ceux avec une « piscine sans clore, mais avec un filtrage d’eau« . Très bon moment de récréation, entre humour et action !
Récréation encore avec ‘Tarzoon, la honte de la jungle‘ (1975). Film d’animation de Picha et Boris Szulzinger, pas vraiment pour enfants, parodiant les « Tarzan » avec un humour hara-kiri, à la fois cul et débile.
‘Thelma‘ de Joachim Trier est un film fantastique qui réussit tout ce que ‘Replace‘ loupait. Douceur et sensibilité dans le traitement de son personnage principal. Le film raconte l’entrée dans la vie universitaire d’une étudiante, loin de son village, et la découverte de sa sexualité. Mais Thelma (Eili Harboe, parfaite) est victime de crises épileptiques. Une forte émotion et la voila sujette à des convulsions qui ont aussi un impact sur son environnement… ‘Thelma‘ est un peu la petite fille de la ‘Carrie’ de De Palma. En général, religion et sexe ne font pas bon ménage. Ils font par contre d’intéressants films fantastiques et celui-ci, sans révolutionner le genre, fait parfaitement le boulot.
Il semble que chaque festival se doit d’avoir sa carte auteurisante. C’est le cas de Cannes et d’autres. Et l’Etrange Festival propose cette année ‘9 Doigts‘ de F.J. Ossang racontant laborieusement le voyage d’un gang de cambrioleurs sur un cargo. On retrouve la même esthétique que ses précédents films (‘Le trésor des îles chiennes’…), à savoir un beau noir et blanc filmé en pellicule pour obtenir ce grain d’image si particulier, le même fétichisme pour les lunettes noires, les décors rouillés et une bande son industrielle. Mais aussi un même scénario incompréhensible, des dialogues très écrits à coup de citations et de réflexions sur la Révolution et des comédiens dans l’ensemble tous particulièrement mauvais (seul Pascal Gregory arrive à s’en sortir). On peut qualifier ce cinéma de poésie, d’art romantique punk. Ca n’en fait pas moins une expérience pénible, chiante et prétentieuse.
Court séjour parisien et donc pas mal de films loupés comme ‘Les Garçons Sauvages‘ de Bertrand Mandico (un nom dont on entend beaucoup parler et un univers à découvrir, en espérant que ça en vaille la peine), ‘Tokyo Vampire Hotel‘ de Sono Sion, le coréen ‘The Villainess‘, ‘The Misandrists‘ de Bruce LaBruce ou ‘Kodoku : Meatball Machine‘ du fou furieux Yoshihiro Nishimura. D’autres ont déjà été diffusés et vus à Cannes (‘Jupiter’s Moon‘ et ‘Avant que nous disparaissions‘, tous les deux très réussis). Il fallait terminer ce festival en beauté et c’est le cas avec le feu d’artifice scatologique ‘Kuso‘ (« merde » en japonais) du musicien californien Flying Lotus (parent de John et Alice Coltrane) découvert sur le label Warp. Soit la rencontre entre W.S. Burroughs et l’art vidéo, dans l’Amérique chaotique de Trump où la population est touchée par d’affreuses maladies de peau et patauge dans des liquides corporels peu ragoûtants. Il ne manque que l’odeur dans ce genre d’expérience incroyable sur grand écran. Un délire visuel pour spectateurs avertis, une avalanche grotesque hilarante et écoeurante, qui sous la forme d’un zapping télévisuel nous plonge dans des univers totalement différents qui s’entrechoquent. On passe ainsi d’un couple d’Afro-Américains adeptes de la strangulation à un conte de fée étrange et inquiétant, puis à un médecin (l’un des rois du funk, George Clinton) traitant toutes les phobies au moyen d’une thérapie bien particulière… Entre ‘le Festin Nu’ et ses visions de cauchemars assaisonnées d’un humour effroyable, à un délire non sensique proche des Monty Pythons, le spectateur ne sait à quoi s’attendre. Le sens de tout ce déferlement visuel et sonore (musiques électroniques d’Aphex Twin et jazz) fait défaut. On essaie de s’accrocher à quelque chose, en vain. Le mieux est de se laisser glisser et de plonger dans le grand bain la tête la première. Dans le genre film expérimental, il y avait ‘Fluido‘ et il y a ‘Kuso‘. Quitte à se passer d’histoire, autant le faire dans la joie, l’horreur et la bonne humeur et ‘Kuso‘ s’y vautre totalement ! A recommander aux fans de David Lynch (esprits cartésiens s’abstenir). Après cette ultime séance, il est temps de manger un morceau. Qui a encore faim ?