Comment ça va l’Amérique ?

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On se doutait un peu que notre monde était dickien. Les écrits de Philip K. Dick ont-ils influencé notre monde ou bien Dick était-il juste un médium qui souleva le voile des apparences pour  nous révéler la vérité crue ? Un peu des deux ? Mais en voyant qu’un vieil homme à tête orange (humain, robot, extra-terrestre ?) avait pris légalement le contrôle de l’un des pays les plus puissants de la planète, le doute n’est plus permis. La réalité n’est donc qu’une « information alternative » entre les mains de milliardaires tous puissants, juste un rapport minoritaire négligeable. De quoi inspirer Hollywood pour les années qui viennent et proposer autre chose que des super-héros ou remake/reboot sans imagination.

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     Actuellement dans les salles de cinéma on trouve des regards très intéressants sur les Etats-Unis. Intéressants car légèrement en décalage avec la « version officielle ». Comme ‘Un jour dans la vie de Billy Lynn‘ de Ang Lee qui raconte la tournée à travers le pays, en 2004, de la compagnie Bravo. Ce groupe de jeunes soldats basés en Irak a été filmé par une équipe télé lors d’un accrochage sanglant avec les forces adverses, les transformants du jour au lendemain en héros de la patrie. La machine de propagande en fait des marionnettes que l’on exhibe devant les caméras et dans des shows son et lumière au milieu de stades immenses. On suit donc une journée dans la vie du soldat Billy Lynn (Joe Alwyn) et de ses camarades que l’on présente à un riche promoteur immobilier du Texas (Steve Martin) et à des tas d’officiels inconnus, rencontrant au passage une jolie cheerleader (la mimi Makenzie Leigh), pour aller ensuite servir de faire valoir sur scène à Beyoncé, puis rencontrer une franche hostilité de la part de certains compatriotes, tandis qu’en coulisse on fait miroiter aux soldats un contrat juteux pour adapter leur histoire au cinéma. De nombreux flashbacks s’insèrent dans le films, dévoilant la raison de l’engagement de Billy et la scène traumatique qui en a fait un héros malgré lui.

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La caméra de Ang Lee colle de manière frontale à son personnage principal, avec une grande profondeur de champ, pour le plonger dans un spectacle grotesque qui le dépasse, usant du grand angle pour déformer les visages et transformer certains personnages en gargouilles repoussantes (ex. : Steve Martin). Dommage qu’il ne soit pas possible de voir en salle le film en 3D et projeté à 120 images/secondes comme voulu par le cinéaste, car ce format particulier doit probablement renforcer l’esthétique hyperréaliste voulue par Ang Lee. En attendant, le casting est solidement renforcé par Garrett Hedlund, Kristen StewartChris Tucker (surprenant) et même un Vin Diesel qui peut être bon pour peu qu’il se sorte les doigts du cul et de sa zone de confort entre ses triple X et autres Fast and Furieux interchangeables. Grand film, ‘Un jour dans la vie de Billy Lynn‘ est le parfait exemple du film de guerre anti-guerre, le petit grain de sable qui gâche la fête. Pas sûr malheureusement qu’il fasse un carton au box office, autant dire qu’il vaut mieux ne pas tarder à le découvrir avant qu’il ne quitte l’affiche !

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     L’autre film marquant vu cette semaine est ‘Jackie‘ de Pablo Larrain qui raconte le drame d’une femme meurtrie par l’Histoire. Le scénario s’intéresse au traumatisme de Dallas et au combat de Jacqueline Kennedy pour que l’Amérique n’oublie pas le meurtre de son mari. Tout comme son époux, elle a conscience du pouvoir des images et elle, à qui on avait assigné le rôle de mère et bonne épouse au foyer, tient à ce que tout le pays voit le cercueil du mort à côté d’une veuve et de ses deux petits enfants. Sursaut d’orgueil et passage obligé pour que le travail de deuil puisse s’accomplir.

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Le réalisateur, lui, et tout comme Ang Lee, cadre son personnage de très près et prend esthétiquement ses distances avec le biopic classique. Il ne quitte jamais son actrice Natalie Portman (fantastique !) qui incarne un petit bout de femme figée dans sa fonction de première dame, puis pétrifiée dans son impeccable tailleur maculé du sang de son mari. Tout le monde connaît l’épisode de l’assassinat de John F. Kennedy un 22 novembre 1963 à Dallas (quelques plans brefs), sujet de nombreux films. La caméra s’intéresse ici à celle qui était à ses côtés et qui se pris les éclats de cervelle en plein visage ! Eclaboussures comme autant de crachats sanglants d’une Amérique ultra-violente qui se révèle soudainement et brutalement au grand jour. Le conte de fée a viré au cauchemar dans une sinistre tradition de l’Histoire des Etats-Unis. Le jeu de Natalie Portman est fabuleux, tout concentré sur le corps, sur des petits détails, des nuances, sans jamais tomber dans les outrances des performances d’acteurs. Exemples : la démarche de Jackie lors d’une visite guidée de la Maison Blanche, son sourire et sa voix conditionnés par la présence des caméras qui masquent à peine le malaise du personnage, puis plus tard après le choc de Dallas ses pas hésitants et sa silhouette figée tâchée de sang. Enfin, lors de l’entretien avec le journaliste, le personnage allume cigarette sur cigarette (« ça vous ne l’écrirez pas, je n’ai jamais fumé ») et semble enfin se libérer du poids du traumatisme, mais aussi de la fonction qui lui était assignée et à laquelle on lui demandait de ne pas s’écarter, figeant son corps dans un corset invisible. C’est une jeune femme qui a encore la vie devant elle comme lui dit à un moment un prêtre (dernier rôle de John Hurt), elle va pouvoir reprendre son destin en main et se libérer de l’Histoire. Superbe travail entre un réalisateur et une grande actrice, ‘Jackie‘ est très bien placé dans la course aux Oscar où la concurrence est d’un très haut niveau cette année. Enfin, c’est Mica Levi (‘Under the Skin’) qui signe la bande originale et le casting comprend également Peter Sarsgaard, Billy Crudup, Greta Gerwig et le regretté John Hurt.

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