Déclic et clichés de guerre

Une Amérique aux états désunis, dans un avenir proche. Le Président en place lutte contre des forces sécessionnistes telles que l’Armée de l’Ouest (Californie et Texas), tandis qu’une autre remonte depuis la Floride, sans oublier les Maoistes de Portland. Au cours de son troisième mandat (la constitution américaine semble donc avoir été remaniée), il a fait bombarder des civils. Mais ses jours sont comptés. Une petite équipe de journalistes new-yorkais décide de franchir les 190km qui les séparent de la capitale Washington DC sur le point de tomber…

Civil War‘, d’Alex Garland, promettait beaucoup avec un sujet pareil. Le réalisateur britannique délaisse la science-fiction et le fantastique (après ‘Ex_Machina’ et ‘Men’, et ses scénarios pour Danny Boyle), pour s’attaquer à l’anticipation. Un futur proche et réaliste, où un Président aux méthodes radicales arriverait au pouvoir. Toute ressemblance avec la situation politique actuelle des USA n’est évidemment pas le fait du hasard. Une idée géniale sur le papier et qui à l’écran démarre plutôt bien. Mais le film ne développe pas la situation du pays. Quelques informations sont bien distillées ici et là au détour d’une conversation entre les personnages, mais le scénario n’approfondit pas le sujet, préférant s’intéresser au métier de journaliste et plus particulièrement les photo-reporters. Nous suivons ainsi Lee Smith, une photographe qui a trop vu d’horreurs derrière son viseur et qu’interprète parfaitement Kirsten Dunst. Elle et ses deux confrères rencontrent la jeune Jessie (Cailee Spaeny) et son vieux Nikon FE2 argentique. Ils vont traverser ensemble un pays plongé dans le chaos, où des miliciens suprémacistes blancs font la loi, où des petites villes continuent à vivre paisiblement comme si rien ne s’était passé mais avec des snipers en position sur les toits. Ce voyage en voiture est une plongée au coeur des ténèbres mise en musique par les fidèles Geoff Barrow (Portishead, Beak>) et Ben Salisbury. Si la violence et l’horreur sont omniprésentes, la nature brille de mille couleurs, indifférente aux drames des Hommes, comme pendant les périodes de confinement. Le travail sur la lumière et les cadres est remarquable, tout comme la réalisation des scènes de combats. Mais le point de vue sur le métier de photographe de guerre semble assez superficiel, se limitant aux clichés hollywoodiens. Le film montre par exemple des journalistes cherchant à tout prix l’image choc, celle qui va se vendre, quitte à risquer sa vie et celles des autres. Des hommes et des femmes d’images sans beaucoup d’éthique et plutôt irresponsables.

Civil War‘ ne prend pas beaucoup de risques dans son regard sur la situation d’un pays plongé dans une guerre civile et, par extension, ne propose pas de réflexion sur la crise que traverse de nombreuses démocraties actuellement. Et le film fait preuve de maladresses dans sa façon de décrire la presse. Dans le film, les journalistes sont sensés servir de guides aux spectateurs. On nous les présente comme des témoins objectifs des évènements mais aussi comme des militants, voire des complices qui mettent en scène les faits. Où veut en venir le réalisateur ? Son point de vue reste flou. Que veut dire le film ? Même chose, le spectateur sort de la séance avec un sentiment de confusion et de tentative ratée. Aucune trace d’ambiguïté ou d’ironie alors que le sujet s’y prêtait. Il aurait fallu un Paul Verhoeven derrière la caméra.

Pour s’intéresser au métier de photographe et plus particulièrement de photoreporter, on peut se rendre dans une librairie pour découvrir le livre d’Alexis Jenni ‘Robert Capa-libérations‘ (Seuil). Plus de 150 photographies en noir et blanc mais aussi en couleur, issues des archives de l’agence Magnum, couvrent la période 1941-1945. Un témoignage incomparable, humaniste, sur la Seconde Guerre Mondiale. Sur le métier de photographe de guerre. Et sur les personnes qui prennent ces images.