Disquaire Day/RSD 2024

Samedi 20 avril 2024 avait lieu le Disquaire Day, journée internationale de fête et de soutien des disquaires indépendants. Un dernier pour la route ? C’est bien possible, malheureusement, pour le petit disquaire que l’on soutient depuis des années. Plusieurs raisons sont responsables, comme le prix des disques, une industrie qui s’est orientée vers le streaming sans totalement délaisser le CD et le vinyle, mais qui se détourne des petites structures et favorisent les géants de la vente en ligne… et la speculation immobilière ! Un disquaire ce n’est pas juste un commerce, mais un lieu de rencontres entre passionnés de musiques et d’échanges. Si cette boutique ferme, ce sera évidemment un drame pour les deux vendeurs Ludo et Fifi, et pour le patron Cédric.

Samedi matin donc, arrivé un peu à la bourre après l’ouverture. Une petite dizaine de clients est déjà penchée sur les deux bacs bien remplis de vinyles exclusifs à l’opération Disquaire Day/Record Store Day. Il y a du choix, beaucoup et pour tous les goûts. Quant aux prix, ils sont toujours à la hausse, mais pas toujours. Ainsi le Bowie était proposé à 32€ tandis que le mini-album de Garbage (quatre titres) atteignait les 36€. Un EP plus cher qu’un LP, c’est nouveau ! Dans le prix de vente il y a la marge du vendeur, mais il y a aussi et surtout de prix de base du label. Pour les double albums, ça s’approchait dangereusement des 50€ ! Dans ces conditions, et même en ayant mis des sous de côté pour cet évènement, on y regarde à deux fois. On fait des choix. Pour ne retenir qu’une poignée de vinyles. Petite sélection :

DAVID BOWIE : ‘Waiting in the sky (before the Starman came to earth)‘. Datée de décembre 1971, il s’agit d’une sélection non définitive de titres issus des archives de Bowie, de ce qui allait devenir l’album ‘Ziggy Stardust’. On trouve par exemple ‘Velvet goldmine’, ‘Holy holy’, une reprise de Chuck Berry ‘Round and round’ ainsi que le ‘Amsterdam’ de Jacques Brel. Des morceaux qui seront écartés du tracklisting définitif de l’album mythique, pour sortir en face B des singles entre 1973 et 1975. Tous les titres sont issus des bandes d’enregistrement d’époque. Son et pressage excellents sur vinyle noir.

SIOUXSIE AND THE BANSHEES : ‘Nocturne‘. Double vinyle remasterisé pour ce fabuleux album live (1983) où les Banshees recrutaient Robert Smith des Cure à la guitare. Pochette ouvrante/gatefold avec deux vinyles noirs et un poster recto-verso. De l’excellent travaille, tout comme les concerts ‘Show’ et ‘Paris de The Cure réédités récemment en vinyle. Une ‘Nocturne’ qui débute en majesté avec ‘Israel’ (et le ‘Sacre du Printemps’ d’Igor Stravinsky) et enchaine sur le ‘Dear Prudence’ des Beatles.

TRICKY : ‘Angels with dirty faces‘. Le prince noir du trip-hop sortait en 1998 son troisième album solo. Guitares, basses lourdes, batteries et samples s’entrechoquent autour de ces anges aux sales gueules. Au casting on trouvait la compagne d’alors Martina Topley Bird, PJ Harvey et un choeur de gospel de la Nouvelle-Orléans, Scott Ian (Anthrax) et Marc Ribot. Tricky le Bristolien était alors au sommet de son art. Cette réédition RSD-2024 se présente avec une pochette ouvrante/gatefold et deux disques transparents de couleur orange. Très bon travail.

SINEAD O’CONNOR : ‘You made me the thief of your heart‘. Extrait de la bande originale du film ‘In the name of the father/Au nom du père’ (1993), ce mini-album présente le titre interprété par Sinéad O’Connor sous différentes versions (album, stained mix, 7″ edit, instrumental). Vinyle EP transparent sans défaut et son puissant. A noter que contrairement à ce qu’annonce le dos de la pochette, il s’agit bien d’une édition 5 titres. Deux versions en face A et trois morceaux en face B avec le titre instrumental ‘The father and his wife the spirit’ non indiqué sur la pochette, mais présent sur le disque et sur l’étiquette de la face B.

SCOTT WALKER : ‘Tilt‘. Réédition (1995) d’un album inclassable, entre pop, rock, industriel, BOF, expérimental, classique… Scott Walker fait le lien entre Bowie et Bashung dans leur recherche à repousser les limites du format pop/rock, tout en se frottant à d’autres influences musicales. Cet album reste une énigme fascinante à se repasser après le passage d’une tempête, sous un soleil écrasant ou par une nuit étoilée. Son et pressage excellents. Deux vinyles noirs glissés dans une pochette simple, à écouter à la vitesse de 45t/mn.

(Photos Disquaire Day 2024 : Nicolas NSB)

Bonnes pioches pour cette édition 2024 du Disquaire Day/Record Store Day. Comme chaque année, sur le site officiel de la manifestation, on constate que la liste française évolue au fil des semaines. Certaines références disparaissent sans explications (le Siouxsie), mais sont bien présentes dans les bacs. De l’autre côté de la Manche, la liste du Record Store Day est bien plus fournie. Et les files d’attentes impressionnantes. Parfois un heureux imprévu se produit, comme le maxi 4 titres de Bryan Ferrythe Right Stuff‘, annoncé pour le RSD britannique le 20 avril, mais déjà à la vente sur un site anglais connu une semaine à l’avance (!) et à un prix très étrange. Ce n’est pas qu’il y avait un chiffre en trop, non, mais… un chiffre en moins (!!!). Evidemment cet EP bleu (excellent) pressé à 45t/mn s’est vendu en quelques secondes.

Déclic et clichés de guerre

Une Amérique aux états désunis, dans un avenir proche. Le Président en place lutte contre des forces sécessionnistes telles que l’Armée de l’Ouest (Californie et Texas), tandis qu’une autre remonte depuis la Floride, sans oublier les Maoistes de Portland. Au cours de son troisième mandat (la constitution américaine semble donc avoir été remaniée), il a fait bombarder des civils. Mais ses jours sont comptés. Une petite équipe de journalistes new-yorkais décide de franchir les 190km qui les séparent de la capitale Washington DC sur le point de tomber…

Civil War‘, d’Alex Garland, promettait beaucoup avec un sujet pareil. Le réalisateur britannique délaisse la science-fiction et le fantastique (après ‘Ex_Machina’ et ‘Men’, et ses scénarios pour Danny Boyle), pour s’attaquer à l’anticipation. Un futur proche et réaliste, où un Président aux méthodes radicales arriverait au pouvoir. Toute ressemblance avec la situation politique actuelle des USA n’est évidemment pas le fait du hasard. Une idée géniale sur le papier et qui à l’écran démarre plutôt bien. Mais le film ne développe pas la situation du pays. Quelques informations sont bien distillées ici et là au détour d’une conversation entre les personnages, mais le scénario n’approfondit pas le sujet, préférant s’intéresser au métier de journaliste et plus particulièrement les photo-reporters. Nous suivons ainsi Lee Smith, une photographe qui a trop vu d’horreurs derrière son viseur et qu’interprète parfaitement Kirsten Dunst. Elle et ses deux confrères rencontrent la jeune Jessie (Cailee Spaeny) et son vieux Nikon FE2 argentique. Ils vont traverser ensemble un pays plongé dans le chaos, où des miliciens suprémacistes blancs font la loi, où des petites villes continuent à vivre paisiblement comme si rien ne s’était passé mais avec des snipers en position sur les toits. Ce voyage en voiture est une plongée au coeur des ténèbres mise en musique par les fidèles Geoff Barrow (Portishead, Beak>) et Ben Salisbury. Si la violence et l’horreur sont omniprésentes, la nature brille de mille couleurs, indifférente aux drames des Hommes, comme pendant les périodes de confinement. Le travail sur la lumière et les cadres est remarquable, tout comme la réalisation des scènes de combats. Mais le point de vue sur le métier de photographe de guerre semble assez superficiel, se limitant aux clichés hollywoodiens. Le film montre par exemple des journalistes cherchant à tout prix l’image choc, celle qui va se vendre, quitte à risquer sa vie et celles des autres. Des hommes et des femmes d’images sans beaucoup d’éthique et plutôt irresponsables.

Civil War‘ ne prend pas beaucoup de risques dans son regard sur la situation d’un pays plongé dans une guerre civile et, par extension, ne propose pas de réflexion sur la crise que traverse de nombreuses démocraties actuellement. Et le film fait preuve de maladresses dans sa façon de décrire la presse. Dans le film, les journalistes sont sensés servir de guides aux spectateurs. On nous les présente comme des témoins objectifs des évènements mais aussi comme des militants, voire des complices qui mettent en scène les faits. Où veut en venir le réalisateur ? Son point de vue reste flou. Que veut dire le film ? Même chose, le spectateur sort de la séance avec un sentiment de confusion et de tentative ratée. Aucune trace d’ambiguïté ou d’ironie alors que le sujet s’y prêtait. Il aurait fallu un Paul Verhoeven derrière la caméra.

Pour s’intéresser au métier de photographe et plus particulièrement de photoreporter, on peut se rendre dans une librairie pour découvrir le livre d’Alexis Jenni ‘Robert Capa-libérations‘ (Seuil). Plus de 150 photographies en noir et blanc mais aussi en couleur, issues des archives de l’agence Magnum, couvrent la période 1941-1945. Un témoignage incomparable, humaniste, sur la Seconde Guerre Mondiale. Sur le métier de photographe de guerre. Et sur les personnes qui prennent ces images.

Le déclic

« Posez-vous la question des origines de votre désir de créer. Pourquoi est-elle si nécessaire, cette volonté de création personnelle ? Est-elle si forte ? Iriez-vous jusqu’au bout si c’était défendu ? illégal, réprimé ? Toute création artistique a ses exigences, tâchez de trouver les vôtres. Demandez-vous si vous feriez ça tout en sachant que personne ne verra jamais rien de votre travail, que vous n’en tirerez aucune gratification, que personne n’en voudra, jamais. Si vous parvenez malgré tout à une vision claire, alors allez-y, et ne vous posez plus de questions. »

Ernst Haas (1921-1986), photographe.

Les Barbares de l’Univers

Les gars de Pulse Vidéo frappent à nouveau d’un grand coup (de glaive !) le monde de l’édition vidéo. Ils lancent en effet une nouvelle campagne de financement participatif (plus exactement des précommandes) consacrée aux films de barbares ou « Conansploitation ». Un livre est annoncé, ‘Barbares : de Conan à Musclor (l’histoire de la Conansploitation au cinéma)‘ écrit par Claude Gaillard. Il explorera sur 256 pages ce sous-genre rempli de films bis savoureux et de nanars improbables. Pour accompagner cet ouvrage (qui fait suite à un précédent beau livre de référence consacré aux films de zombies), deux films vont être édités en blu-ray et dvd en partenariat avec Sidonis Calysta. Il s’agit des cultissimes ‘Les Maîtres de l’Univers‘ (1987) de Gary Goddard avec Dolph Lundgren et Frank Langella, et de ‘Les Barbarians‘ (1987) de Ruggero Deodato ! Amateurs de gros bras bodybuildés, de princesses en armures et d’une belle ambiance délirante vous êtes ici chez vous. Du bon gros culte made in Cannon ! Du cinéma divertissant, décomplexé, très attachant et qui file le sourire.

https://www.kisskissbankbank.com/fr/projects/motu/tabs/description

La campagne de préventes vient d’être lancée sur KissKissBankBank à l’occasion d’un direct sur Youtube (chaîne MortalG), avec la participation du réalisateur Gary Goddard en début d’émission. Le choix est offert entre plusieurs options : précommander/financer la fabrication du livre, un ou plusieurs films, un pack collector… Les blu-rays seront zone 2, avec un étui cartonné et des bonus, et proposeront les versions françaises d’époque ainsi que la vostfr. Plus d’information sur la page du projet qui devrait voir le jour en juillet prochain. D’ici là, deux nouveaux projets devraient être lancés par Pulse. Un ouvrage consacré à la Bruceploitation (les sous-Bruce Lee), et un livre écrit par Brigitte L. accompagné d’un film issu du catalogue René Chateau… Miam ! A suivre.

pulsestore.net

Les nuits bleues de Tokyo

C’est l’histoire d’une amitié. Celle de trois jeunes gens réunis par l’amour du jazz. Dai, Shunji et Yukinori. Soit un saxo, un piano et une batterie. Une jeune formation passionnée et qui doit encore se perfectionner mais qui y croit. Un jour, un soir, c’est sûr, ils joueront au So Blue, le meilleur club de la ville ! Même si pour cela ils doivent se confronter aux accidents de la vie, même si leur amitié doit traverser des tempêtes. Car le jazz, c’est comme la vie : de l’improvisation, de l’éphémère.

Avec ‘Blue Giant‘, l’animation japonaise atteint encore des sommets ! Le réalisateur Yuzuru Tachikawa, en adaptant un manga, parvient à faire ressentir l’ivresse des musiciens lorsqu’ils se lancent dans un solo, tout comme l’émotion du public venu les écouter, par ses découpages, sa caméra en mouvement et l’usage des couleurs. C’est un régal des sens, aussi bien pour la musique (composée par Hiromi Uehara) que pour les images. Mais par dessus tout, ce qui emporte les spectateurs, c’est lorsque ‘Blue Giant’ confronte l’art à la vie. La musique reflète la personnalité, le vécu du musicien. Si elle n’est que prodige technique, si elle n’est qu’arrogance, le public le ressentira et lui tournera le dos. Alors que si le jeu se montre plus sincère, si le musicien ne triche pas, alors les spectateurs seront transportés par l’intensité et l’énergie déployées. Sur scène, une fausse note peut toujours se rattraper, tandis que dans la vie… c’est plus compliqué.

John Carpenter prend son café bien noir

Le célèbre réalisateur américain John Carpenter n’est pas du genre à pantoufler pendant ses longues journées de retraité. Le voici en effet de retour, avec son fils Cody et Daniel Davies, pour le quatrième volet de leurs thèmes égarés. L’album ‘Lost Themes IV : Noir‘ est annoncé pour le mois de mai prochain en vinyles, CD, cassette et sur les plateformes de téléchargement.

Voici un premier extrait : « My name is death » !

DUNE 2 : « colossal et jamais vu » ?

Partout en ville de grandes affiches l’affirment, la seconde partie de ‘DUNE‘ serait « colossal et jamais vu ». Spectaculaire, assurément. « Jamais vu » serait faire preuve d’amnésie, d’ignorance, voire se plier à la cancel culture. Denis Villeneuve confirme les réserves pointées lors de la sortie du premier volet. S’il reste très fidèle au roman de Frank Herbert, son adaptation est aussi très marquée par l’époque actuelle. C’est-à-dire très woke.

En d’autres temps, le cinéma de l’imaginaire accueillait des artistes venus de la marge. Des Jodorwosky, des Lynch par exemple. Aujourd’hui la contre-culture a été avalée par l’industrie. Les sommes investies sont énormes tout comme les enjeux économiques. Pas le droit à l’erreur, il ne faut ni choquer ni déranger, mais plaire au plus grand nombre. Les réalisateurs, hommes ou femmes, doivent se plier aux impératifs du marché et d’une bonne partie du public. Et la plupart le font avec conviction. Denis Villeneuve n’est pas le pire des tâcherons, pourtant. Mais le résultat est là et il n’est pas bon. Tout en se voulant fidèle au premier roman de la saga « Dune », cette seconde partie oublie volontairement certains personnages. On trouve bien une lady Fenring (Léa Seydoux) mais pas de trace du comte Fenring. Ces deux personnages ne sont pas indispensables, mais le choix des auteurs est ici de mettre les femmes en avant. Pourquoi pas. Sauf que la quantité ne fait pas la qualité. Et Alia Atreides ? Jessica (Rebecca Ferguson), sa mère, passe tout le film enceinte alors que plusieurs mois, voire des années passent. C’est un peu long pour une enfant censée être précoce… Le personnage d’Alia est pourtant, lui, très important dans l’histoire. Pourquoi cette absence ? On aperçoit brièvement Sainte Alia du Couteau, dite l’Abomination, dans une vision de son frère Paul Muad’Dib. Et l’actrice qui l’interprète à l’âge adulte est… furieusement réjouissante. Mais c’est bien trop peu devant les révisionnismes et les longueurs de l’histoire, la triste sobriété des décors et des costumes, et les grondements de Hans Zimmer car on ne peut vraiment pas parler de musique de film ici.

« Long et assommant » serait une accroche mieux appropriée pour ce ‘Dune : deuxième partie‘. Parfois, avec les adaptations, il vaut mieux une trahison qui transcende son sujet qu’un travail d’élève appliqué mais chiant. Entre la folie baroque d’un David Lynch et les ronds dans le sable d’un Denis Villeneuve, le choix est vite fait.

« Longue vie aux combattants ! » Longue vie aux résistants !

Computer malfunction… et au-delà de Jupiter

S’il y a bien un film qui constitue une expérience hors norme, c’est bien ‘2001 : l’Odyssée de l’Espace‘ (1968). Une expérience à vivre en salle, sur un grand écran si possible et avec un son qui vous enveloppe. Une expérience ultime ! Ca débute par un écran noir accompagné d’une musique majestueuse. Puis nous découvrons l’aube de l’humanité suivi d’un premier contact avec une trace de vie extraterrestre. Une forme non-humaine (ce serait trop facile, comme si les Hommes étaient le centre de l’univers), abstraite. Et ce contact entraine des conséquences… Saut dans le temps, au moyen de l’une des plus belles ellipses de l’histoire du cinéma. Nous sommes à l’ère spatiale, celle des voyages entre la Terre et la Lune à bord de navettes longs courriers, avec escale dans une station située à mi-parcours. Et là encore se produit un nouveau contact avec une autre intelligence. Un monolithe noir a en effet été volontairement enterré sous la surface lunaire, il y a de cela quatre milliards d’années. Il émet un puissant rayonnement en direction de Jupiter. Nouveau (petit) saut dans le temps, dix-huit mois plus tard. Une mission d’exploration est envoyée vers la géante gazeuse de notre système solaire. A son bord, cinq membres d’équipage sous le contrôle automatisé de H.A.L.9000, le summum de l’intelligence artificielle, réputé être infaillible…

Actors Gary Lockwood & Keir Dullea in scene from motion picture « 2001: A Space Odyssey. »

Si ‘2001 : l’Odyssée de l’Espace‘ illustre ce blog, c’est qu’il est tout simplement l’un des films de chevet de l’auteur de ces lignes (je lui ajoute ‘les Sept Samouraïs’ et ‘Le Bon, la Brute et le Truand’) depuis sa découverte il y a pas mal d’années de ça, lors d’un séjour en classe de neige. Vous découvrez ce film sur une télévision qui n’était pas vraiment HD, parmi d’autres collégiens. Tout le monde est désorienté après cette séance, beaucoup n’ont rien compris. Certains ricanent même. Et il y celles et ceux qui posent des questions aux enseignants. Allez savoir pourquoi, quelque chose s’est passée en vous, un déclic. Vous ne le savez pas encore, mais ce film va vous accompagner tout au long des années à venir où vous le reverrez des dizaines de fois, à chaque fois avec un intérêt renouvelé. Vous le verrez même deux fois en salle lors de rétrospectives. Il y a eu plusieurs éditions vidéo. Et lorsqu’une troisième séance en salle (copie magnifique !) se présente à l’occasion du festival les Mycéliades, vous ne pouvez décemment pas refuser l’invitation.

Beaucoup de gens brillants ont parlé ou écrit sur Stanley Kubrick (lire ses entretiens avec Michel Ciment par exemple) et ce film qui a révolutionné la science-fiction. A propos du génie de ce réalisateur, de son perfectionnisme, de son sens de l’image (Kubrick débuta comme photographe). Parler de chef-d’oeuvre peut faire peur à certains spectateurs, tout comme aligner les superlatifs. Le mieux est de vivre un film en en connaissant le moins possible. Se laisser glisser dans ce monde qui prend le temps de se révèler à vous. Des plans qui durent, des mouvements de caméra chorégraphiés sur de la musique de ballets. Un sens du beau inouï, qui alterne avec des sons stridents ou persistants qui vous mettent mal à l’aise afin de faire ressentir aux spectateurs que l’aventure spatiale n’est pas une croisière de plaisance. Les êtres humains ne sont pas fait pour l’espace qui est un univers totalement hostile. Des idées de mise en scène, le film en est plein. Un travail sur le son exemplaire (choix des musiques, sons ambiants, peu de dialogues). Des plans incroyables pour montrer l’absence de pesanteur et de la vie en dehors de la Terre. Les effets spéciaux du film (Douglas Trumbull est au générique, mais Kubrick a également travaillé sur les effets visuels) sont encore aujourd’hui, en 2024, très impressionnants et montrent que le recours au tout numérique de la plupart des grosses productions a grandement appauvri la qualité des films. ‘2001…’ c’est à la fois une volonté de réalisme stupéfiante (le film entra en production alors que l’Homme n’avait pas encore posé le pied sur la Lune !), une réflexion pessimiste mais aussi une vision poétique de l’avenir de l’humanité avec cet incroyable plan final. Les questions et les mystères qui accompagnent les spectateurs lorsque la salle se rallume font parti du charme du film. Et on peut rester ou pas pour suivre le débat de l’après-projection. Quelle est la place de l’Homme dans l’univers ? Quelle est l’origine de la vie ? Interrogations sur l’usage de la connaissance (armes, exploration de l’univers, intelligence artificielle ?). Dans le fond comme dans la forme, Stanley Kubrick et son scénariste Arthur C. Clarke étaient très ambitieux et le résultat est toujours aussi beau et intense, sans jamais être prétentieux ou assommant.

Il y aura une suite au film de Kubrick : ‘2010 : l’Année du premier contact’ (1984), avec Roy Scheider, Helen Mirren et John Lithgow. Le réalisateur Peter Hyams prenait un risque énorme en succédant à un tel monument du cinéma ! Mais il parvint à réaliser un très bon film de science-fiction en prolongeant les thèmes de ‘2001…’ et en évitant de copier le style de Kubrick.

Le single du jour : Sinéad O’Connor

En 1993 sortait ‘In the name of the father‘ de Jim Sheridan, avec Daniel Day-Lewis, Pete Postlethwaite et Emma Thomson. Un film bouleversant racontant l’histoire vraie d’Irlandais accusés à tort d’une série d’attentats terroristes perpétrés par l’IRA, torturés puis incarcérés pendant plusieurs années. La bande originale du film proposait, parmi plusieurs tubes, le single de Sinéad O’ConnorYou made me the thief of your heart‘. Toujours aussi puissant :

Derrière l’écriture de ce titre on trouve Bono, Gavin Friday et Maurice Sneezer. Avec la contribution du bassiste Jah Wobble et du producteur Tim Simenon (Bomb the Bass). ‘You made me the thief of your heart‘ de Sinéad O’Connor fait partie des listes française et britannique du prochain Disquaire Day/Record Store Day 2024, qui aura lieu le 20 avril chez les disquaires indépendants. Parmi les vinyles annoncés on trouve du Scott Walker, du Tricky, le duo Morrissey & Siouxsie, un live d’Iggy & the Stooges, du Killing Joke, du Ennio Morricone, le live ‘Nocturne’ de Siouxsie and the Banshees (avec Robert Smith des Cure à la guitare), les Stones, Gorillaz, les Wailers, Motorhead, Horace Andy, Bryan Ferry, Chet Baker… Question (faussement) naïve : les prix vont-ils baisser cette année ?

La panthère noire du cinéma français

Exploitant de salles, producteur et distributeur de films, René Chateau vient de disparaitre. René Chateau c’était les années Bébel qui remplissaient les salles de cinéma. Dans les années 1980, beaucoup l’ont connu avec ses éditions vidéo VHS. Au cinéma comme dans les foyers, un programme René Chateau se reconnaissait à ses affiches, ses jaquettes et enfin son logo mémorable : une magnifique panthère noire sur le ‘Ainsi parlait Zarathoustra’ de Richard Strauss, popularisé par Stanley Kubrick et son Odyssée spatiale. Des Belmondo donc, mais aussi des films fous, interdits, « que vous ne verrez jamais à la télévision ». Et bien évidemment des films que vous vouliez absolument découvrir, même si vous n’aviez pas l’âge requis. Du cinéma populaire à base d’action, de comédie, de classiques, de Bruce Lee, de ‘Massacre à la tronçonneuse’, de Brigitte Lahaie (qui fut sa compagne), de Jess Franco…

Pour revenir sur cette période et donc une petite partie de l’histoire du cinéma français, on peut réécouter une longue interview de René Chateau sur le site de Radio France. L’homme n’a pas sa langue dans sa poche. C’était en 2013 :

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La mort ne chôme pas en ce début d’année, même dans la « grande famille du cinéma ». En plus de René Chateau on peut en effet ajouter les noms de Carl Weathers, David Soul, la pornstar Jesse Jane, Alain Dorval, Laurence Badie… Stop, ça suffit. Il est temps de voir un film.