DUNE 2 : « colossal et jamais vu » ?

Partout en ville de grandes affiches l’affirment, la seconde partie de ‘DUNE‘ serait « colossal et jamais vu ». Spectaculaire, assurément. « Jamais vu » serait faire preuve d’amnésie, d’ignorance, voire se plier à la cancel culture. Denis Villeneuve confirme les réserves pointées lors de la sortie du premier volet. S’il reste très fidèle au roman de Frank Herbert, son adaptation est aussi très marquée par l’époque actuelle. C’est-à-dire très woke.

En d’autres temps, le cinéma de l’imaginaire accueillait des artistes venus de la marge. Des Jodorwosky, des Lynch par exemple. Aujourd’hui la contre-culture a été avalée par l’industrie. Les sommes investies sont énormes tout comme les enjeux économiques. Pas le droit à l’erreur, il ne faut ni choquer ni déranger, mais plaire au plus grand nombre. Les réalisateurs, hommes ou femmes, doivent se plier aux impératifs du marché et d’une bonne partie du public. Et la plupart le font avec conviction. Denis Villeneuve n’est pas le pire des tâcherons, pourtant. Mais le résultat est là et il n’est pas bon. Tout en se voulant fidèle au premier roman de la saga « Dune », cette seconde partie oublie volontairement certains personnages. On trouve bien une lady Fenring (Léa Seydoux) mais pas de trace du comte Fenring. Ces deux personnages ne sont pas indispensables, mais le choix des auteurs est ici de mettre les femmes en avant. Pourquoi pas. Sauf que la quantité ne fait pas la qualité. Et Alia Atreides ? Jessica (Rebecca Ferguson), sa mère, passe tout le film enceinte alors que plusieurs mois, voire des années passent. C’est un peu long pour une enfant censée être précoce… Le personnage d’Alia est pourtant, lui, très important dans l’histoire. Pourquoi cette absence ? On aperçoit brièvement Sainte Alia du Couteau, dite l’Abomination, dans une vision de son frère Paul Muad’Dib. Et l’actrice qui l’interprète à l’âge adulte est… furieusement réjouissante. Mais c’est bien trop peu devant les révisionnismes et les longueurs de l’histoire, la triste sobriété des décors et des costumes, et les grondements de Hans Zimmer car on ne peut vraiment pas parler de musique de film ici.

« Long et assommant » serait une accroche mieux appropriée pour ce ‘Dune : deuxième partie‘. Parfois, avec les adaptations, il vaut mieux une trahison qui transcende son sujet qu’un travail d’élève appliqué mais chiant. Entre la folie baroque d’un David Lynch et les ronds dans le sable d’un Denis Villeneuve, le choix est vite fait.

« Longue vie aux combattants ! » Longue vie aux résistants !

Le « Dune » de Denis Villeneuve, premières impressions

Aussi attendue que redoutée, la nouvelle adaptation du roman « Dune » par Denis Villeneuve est enfin sur les écrans. Première séance ce mercredi, séance en vostfr et 3D. La salle s’éteint, le noir s’installe brièvement tandis qu’une voix nous avertit sur la nature des rêves.

Dès les premières minutes du film, une étrange sensation s’empare du spectateur. Quelque chose de bizarre se produit à l’écran. Comme un effet parasite. Une image se superpose à celles de Villeneuve. C’était à prévoir : la version de David Lynch n’est pas prête de se faire oublier et il va bien falloir faire cohabiter ces deux visions différentes. La différence se trouve tout d’abord dans la grande fidélité de ce nouveau scénario avec le roman de Frank Herbert. Le projet, ambitieux, est de découper l’histoire en deux films là où Lynch avait dû revoir ses ambitions à la baisse et accepter des compromis. La photographie de Greg Fraser, les décors et les costumes créent un univers dangereux et impitoyable. Certains plans d’ensemble rappellent (malgré eux ?) le film de 1984, mais l’esthétique générale, avec ses formes simples et une décoration épurée (à l’opposé de la surcharge baroque de Lynch), est bien celle du Villeneuve de ‘Premier Contact’ et de ‘Blade Runner 2049’. Les combats sont soignés, spectaculaires (notamment l’attaque nocturne de la cité d’Arrakeen). Quant à la musique, il est très difficile de retenir un morceau en tête, le travail de Hans Zimmer ressemblant plus à du sound design qu’à de la musique de film.

Une fois le décor posé, il faut à présent y injecter de la vie. La composition du casting est « un moment d’une délicatesse extrême » dirait une princesse impériale. Timothée Chalamet dans le premier rôle, celui de Paul Atréides, est un choix qui peut se comprendre d’un point de vue commercial, tout comme celui de Zendaya, afin d’attirer dans les salles un public jeune et qui n’a pas forcément lu les romans ou vu le film de Lynch. Mais l’acteur pose problème. Il était transparent dans ‘Un jour de pluie à New York’, une belle gueule sans charisme qui se faisait voler la vedette et sans effort par Elle Fanning. Et ses déclarations très woke à la sortie du film contre Woody Allen (« j’ai tourné dans son film, mais en fait… heu, je regrette et je m’en excuse publiquement ») suite à une nouvelle campagne de diffamation médiatique lancée par la famille Mia Farrow ne plaide pas en sa faveur (pas beaucoup de convictions chez ce jeune homme sensible au sens du vent pour assurer la suite de sa carrière). Timothée Chalamet est donc le nouveau Paul/Muad’Dib et il peine à marquer l’écran de sa présence. Peut-être faut-il attendre ‘Dune-seconde partie’ (pas encore tourné) pour se faire un avis définitif, mais on peut ajouter qu’en à peine un ou deux plans la jeune Zendaya incarne au contraire une Chani très convaincante. Son regard est lourd et chargé d’histoire, on sent que son personnage a grandi très vite, trop tôt, dans un monde violent. Cette Chani des sables de l’an 10191 pourrait être une jeune Afghane d’aujourd’hui. Chez les comédiens plus expérimentés, Rebecca Ferguson et Oscar Isaac font le job parfaitement, tout comme Josh Brolin, Dave Bautista et Javier Bardem. Stellan Skarsgard donne corps au maléfique Baron Vladimir Harkonnen dans une version originale, mais qu’on aimerait voir plus développée. Charlotte Rampling est à peine montrée, tandis que l’Empereur et la Princesse Irulan sont purement absents, pour cette première partie en tout cas. Pas l’ombre non plus d’un navigateur de la Guilde Spatiale, de Feyd Rautha (!!!), du Comte Fenring et absence physique des représentants du Lansraad. Par contre, une présence s’impose comme une évidence sur l’écran et à chacune de ses apparitions : Jason Momoa est un Duncan Idaho extraordinaire ! Il dégage, une fois de plus (‘Conan’, ‘Game of Thrones’, ‘Justice League’) un charisme animal et magnétique, un charme et une virilité naturelle, non forcée, qui conviennent admirablement pour incarner ce guerrier d’exception au destin tragique… mais qui sera présent dans les romans suivants. L’acteur excelle dans les scènes de dialogues autant que dans les combats face aux légions fanatiques de Sardaukars. Il n’en est pas de même malheureusement pour l’interprétation du docteur Yueh, personnage incroyable dans la version de Lynch. Enfin, pour jouer Liet-Kynes le planétologiste impérial, le réalisateur a décidé d’opérer un changement radical (« Dune » manquerait de personnages féminins forts selon ses déclarations, ce qui est surprenant quand on a lu les livres) puisque Kynes est ici une femme (contrairement aux romans et au film précédent) et plus particulièrement une femme noire. Un choix qui choque moins qu’il ne révèle l’époque dans laquelle ce film est produit. Le ‘Dune‘ de Villeneuve est un blockbuster très américain dans ce qu’il révèle des réalités contemporaines de la société nord-américaine, avec ses luttes contre le racisme et les discriminations et ses excès à vouloir faire le bien. Comme tous les gros budgets hollywoodiens actuels, ce film de science-fiction se déroulant dans un monde imaginaire, dans des milliers de siècles dans le futur, parle plus de notre présent que d’un avenir lointain. Au risque d’apparaitre plus vite daté que les trucages du film de David Lynch. Mais les thèmes de l’écologie (l’eau vaut plus que tout l’or du monde pour les Fremens) et de la guerre de religions sont eux intemporels. Ils étaient pertinents dans les années 1960 à la publication du premier roman et le sont encore plus aujourd’hui. On notera au passage que le mot « djihad » (encore une fois dans les romans et le film de Lynch) est absent du film de Villeneuve, remplacé par « guerre sainte », alors que l’islam (entre autres religions) est très présent dans l’univers de « Dune ». Là encore pour n’offenser personne ? Par contre il faut reconnaitre au réalisateur de coller plus que Lynch au roman dans la description qui est faite de la prophétie et du rôle de prophète. Paul Atréides est sensible à des visions qu’il ne comprend pas encore et qui vont s’amplifier au contact de l’Epice, cette richesse de Dune/Arrakis qui est une drogue puissante permettant le voyage spatial mais aussi la divination. Cette première partie montre le personnage hanté par ces visions chargées d’images de cauchemar, où de rebelle révolutionnaire il devient l’objet et l’initiateur d’une guerre sainte sanglante. Le romancier Frank Herbert était très critique envers la figure politique de l’homme providentiel, d’Elu sensé guider le peuple (c’était en pleine Guerre Froide). Ce qu’avaient totalement occulté les versions d’Alejandro Jodorowsky et de Lynch, avec une vision de « Dune » plus spirituelle portée par un personnage en quête de lui-même, puis adoptant une dimension christique en se sacrifiant pour le salut de l’humanité tout entière.

Il semble donc qu’il existe autant de visions de « Dune » que de lecteurs et de spectateurs. Chaque génération sera plus sensible à une proposition qu’à une autre. Il y a les romans de Frank Herbert qui sont des repères incontournables de la SF, et il existe les films de Jodorowsky (avorté), de Lynch et enfin celui de Villeneuve. Faites votre choix. Ici on aura quand même une nette préférence pour le film de David Lynch. Film américain produit par des Italiens et tourné au Mexique, malgré ses petites trahisons (avec le roman) et ses défauts (les scènes d’action, les effets spéciaux datés surtout pour les surimpressions), reste un formidable poème surréaliste d’un jeune artiste sous pression (des milliers de figurants, plusieurs plateaux de tournages et des stars à gérer) qui parvint malgré tout à marquer de son imaginaire à nul autre pareil cette adaptation baroque de « Dune ». Son trip spatial au son de Toto et Brian Eno possède plus d’âme et d’émotion qu’un blockbuster en 3D (discrète, mettant en valeur les volumes, parfois la profondeur de champ, mais pas indispensable) d’un artisan même très doué.

Métal Hurlant (Jean-Pierre Dionnet, Philippe Druillet) rencontre Denis Villeneuve

Lectures rapides : le Mook

Le mook. Drôle de nom. Il s’agit en fait de la contraction de magazine et de book, livre en anglais. Soit un format plutôt luxueux pour une revue. C’est le cas de ‘DUNE – le mook‘, projet qui a vu le jour grâce à une campagne de financement participatif couronnée de succès et disponible à présent dans toutes les bonnes librairies. Un beau pavé de plus de 250 pages, tout en couleur (environ 22€), doté d’une reliure suisse (voir la vidéo plus bas), et entièrement consacré à l’univers « Dune ».

S’il va falloir encore patienter un bon moment avant de pouvoir découvrir le film de Denis Villeneuve dans les salles de cinéma, le sujet est d’actualité avec la réédition du premier roman ou le récent dossier paru dans l’Ecran Fantastique. Mais ce qui distingue ce mook c’est le nombre et la diversité des rédacteurs, afin de couvrir de nombreux thèmes. ‘Dune : le mook’ c’est ainsi la vie et l’oeuvre du romancier américain Frank Herbert, un roman culte de la littérature et plus particulièrement de la science-fiction, des personnages et des sociétés diverses, des adaptations pour les grands et les petits écrans. « Dune » est analysé sous l’angle de la géopolitique, de l’art de la guerre, de l’écologie, de la spiritualité et des religions, ou encore de la place des femmes. L’oeuvre est suffisamment riche pour permettre autant d’approches et on pourrait en ajouter. Des textes d’analyse donc, mais aussi des entretiens avec Brian Herbert (le fils), Gérard Klein (écrivain et directeur de collection), Michel Demuth (traducteur), l’illustrateur Wotjek Siudmak, Alejandro Jodorowsky (entretien réalisé en 1978), Brontis Jodorowsky (il est le premier Paul Atréides, même si le projet a échoué)… et enfin et surtout un échange exclusif avec le réalisateur Denis Villeneuve ! 250 pages richement illustrées de peintures, couvertures et photos des films de David Lynch et de Villeneuve. Indispensable à tous les fans de SF, ‘DUNE : le mook‘ est édité par L’Atalante, Leha éditions et le podcast C’est plus que de la SF.

Autre projet, mais même format. Le magazine PLAYBOY renaît en France en édition papier alors que la maison mère américaine hésite entre le tout numérique et mettre du nu ou pas. Le premier numéro de Playboy au format mook (200 pages couleur, 15€) est paru l’été dernier et le second volume est actuellement disponible chez les marchands de journaux, mais il n’est pas facile à dénicher (il peut être commandé en ligne). La nouvelle équipe propose des sujets divers et variés comme des reportages sur le darknet, l’intelligence artificielle, des destinations de rêves pour touristes fortunés, l’explosion de la violence dans le pays, un texte de Philippe Manoeuvre sur les années punk, des portraits de Bill Gates et de Jeff Bezos (le gars fait peur à voir, est-il réellement humain ? il ressemble à un Répliquant), des entretiens avec des photographes comme Richard Aujard (mook #2) à propos de la sortie prochaine (décalée à 2021) de son recueil ‘Hot Wheels’ chez Serious Publishing. Car on ne va pas se raconter d’histoire, PLAYBOY c’est d’abord et surtout des jolies filles. Et évidemment, rassurez-vous, de nouvelles Playmates sont bien présentes dans ces pages. Vu l’historique du magazine de charme, la nouvelle équipe rédactionnelle a la bonne idée de plonger dans ses archives afin de ressortir quelques entretiens d’époque (Woody Allen, Andy Warhol), mais aussi de magnifiques clichés de ses célèbres Playmates. Une certaine idée de la beauté qu’il fait bon de rappeler en ces temps de puritanisme. Attention les yeux, sont présentes dans le premier numéro : Cindy Crawford, Pamela Anderson, Kim Basinger, Samantha Fox, Ursula Andress et Marilyn Monroe. Pour le second mook : Bo Derek, Lizzy Jagger (fille de Mick), Kim Kardashian, les modèles de Jean-Pierre Bourgeois (ah, Corinne Charby…), la toute jeune Melanie Griffith et enfin la top modèle Angie Everhart (ça existe des jambes aussi longues ?). Pour couronner le tout, Playboy France édite son propre calendrier 2021, en vente chez les marchands de journaux sérieux.

De bonnes et saines lectures pour toute la famille !

Introduction à l’histoire d’Arrakis : Ecosystème

Dune - 2020-01

« Existe-t-il une relation entre le ver et l’épice ? » demanda le Duc. Dans le mouvement que fit Kynes, Paul découvrit le pli de ses lèvres. « Les vers défendent les sables à épices… Qui sait ? Les spécimens de vers que nous avons pu examiner jusqu’ici nous amènent à supposer l’existence d’échanges chimiques complexes entre eux. » (…)

Paul se renfonça dans son coin. Son sens de la vérité, sa perception des tonalités lui disaient que Kynes mentait ou ne disait que des demi-vérités. Il pensa : S’il existe un rapport entre l’épice et les vers, en ce cas tuer les vers pourrait signifier la destruction de l’épice.

Frank Herbert : ‘Dune’

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Blade Runner, une suite ?

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     Vouloir revisiter un film culte, sous la forme d’un remake ou d’une suite, a tout de l’opération suicide. Pourtant, le cinéaste Denis Villeneuve a su relever ce pari impossible. Son ‘Blade Runner 2049‘ est sans doute la meilleure suite possible au film de Ridley Scott. Les images et la lumière du chef op’ Roger Deakins, le scénario de Hampton Fancher et Michael Green, la musique, le son, les décors, les costumes, accessoires, coiffures, maquillages, effets spéciaux… et les comédiens bien sûr, tout ces choix sont dignes de la qualité du film original qui n’est rien moins qu’un chef d’oeuvre de la science-fiction. A plusieurs reprises on a envie de faire un arrêt sur image pendant la séance, afin de promener son regard dans tous les coins de l’image.

BLADE RUNNER 2049

Et cependant, malgré ce niveau d’excellence, on ne peut s’empêcher de penser « une suite était-elle nécessaire ? ». En lisant les interviews de l’équipe du film dans l’Ecran Fantastique d’octobre (réal’, scénaristes et Ryan Gosling), Denis Villeneuve répète à plusieurs reprises le mot « rêve » à propos du ‘Blade Runner‘ de 1982. Vision cauchemardesque d’un futur possible traitée de manière onirique. Ce monde fabuleux et effrayant ressemble effectivement à un songe où la ville, monstrueuse, est filmée comme une forêt mystérieuse de conte de fée. La bande son renforce ce sentiment d’irréel. Cette magie, on la perd un peu avec ‘Blade Runner 2049‘ malgré la meilleure volonté de ses auteurs. L’atmosphère mélancolique est bien là, mais on l’a déjà éprouvé dans le film de Ridley Scott et avec Villeneuve il y a comme un goût de réchauffé : c’est bien mais moins fort que la première fois. La nostalgie du spectateur est utilisée également (on retrouve un Deckard/Harrison Ford vieilli, tout comme d’autres informations), un procédé qui tend à se répéter aujourd’hui à Hollywood. On ne peut pas rejouer indéfiniment avec les mêmes émotions (voir la scène finale). L’entropie est à l’oeuvre. Ironie vertigineuse, ce phénomène d’usure est justement au coeur de l’oeuvre de Philip K. Dick. Il l’avait mis à jour dans plusieurs roman (‘Ubik’, ‘Le Maître du Haut Château’, ‘Les Androïdes rêvent-ils de moutons électriques/Blade Runner’, ‘Coulez mes larmes, dit le policier’, ‘Substance Mort’…). Quoi qu’on fasse, malgré les moyens alloués et toute l’énergie dépensée, quelque chose est à l’oeuvre et cet univers finit par se dérégler. Nous vivons bien dans un monde dickien : notre réalité a été contaminée par l’imaginaire tourmenté d’un auteur paranoïaque qui écrivait de la SF dans la Californie des années ’50/’60/’70.

 

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BLADE RUNNER 2049

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Premier Contact : souvenirs du passé et du futur ?

Au tout début de ‘Dune’ (que ce soit le premier livre de la saga de Frank Herbert ou le film de David Lynch), il est rappelé qu’un commencement est un moment d’une délicatesse extrême. Et c’est ce qu’illustre ‘Premier Contact‘.

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Avec ce nouveau film, Denis Villeneuve s’essaie pour la première fois à la science-fiction. Mais une SF adulte, dans la lignée de l’odyssée de Kubrick ou des plus récents ‘Under the Skin’ et ‘Interstellar’, qui s’interroge sur les problèmes de communication à plusieurs niveaux : entre espèces différentes, entre nations, au sein du couple. Il est question de l’arrivée de mystérieux vaisseaux en différents points de la planète. Toutes les nations s’affolent. Car pour savoir qui sont ces visiteurs étranges et quelles sont leurs intentions, encore faut-il pourvoir échanger avec eux. Comment faire pour trouver des éléments de base propices à la discussion ? Comme le dit à un moment l’un des personnages, apprendre une nouvelle langue entraîne des changements. Notre façon de voir le monde s’en trouve modifiée. Et à partir de ce premier contact difficile entre les humains et une espèce vivante intelligente venue d’ailleurs, nous suivons ces changements déconcertants s’opérer chez le personnage qu’incarne Amy Adams. Le temps semble se fractionner, ne plus être une ligne droite.

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A partir d’une idée classique de la SF et d’un thème déjà traité par d’autres (‘Rencontres du 3e Type’), Denis Villeneuve apporte une nouvelle approche par sa mise en scène. Comme dans ses films précédents, il suggère plus qu’il ne dit, utilisant l’image et le son plutôt que des dialogues interminables, jouant avec le mystère tout en apportant quelques réponses. Il est très différent d’un Spielberg et sans doute moins grand public, et on ne s’en plaindra pas ici. Pour Villeneuve la question n’est pas de savoir qui sont ces aliens, mais plutôt qui sont les humains et sommes-nous prêts à nous unir avant d’envisager une rencontre du troisième type à l’échelle planétaire. Sommes-nous prêts à envisager l’infiniment grand et le paradoxe de l’espace-temps ? Après le remarquable ‘Sicario‘ avec Emily Blunt, le réalisateur dirige une nouvelle fois sa caméra sur l’histoire d’une femme plongée dans un monde d’hommes, et poursuit sa collaboration passionnante avec le compositeur Johann Johannsson. De son côté, Amy Adams (la Lois Lane de ‘Man of Steel’ et ‘Batman v Superman’) donne la réplique à Jeremy Renner et Forest Whitaker et s’installe tranquillement parmi les meilleures actrices américaines.

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En quittant la salle (pleine), les discussions passionnées entre spectateurs démarrent. Et on apprécie d’avoir préserver les mystères du film avant la séance (éviter de lire commentaires et critiques). On peut être rassuré et affirmer que la suite de ‘Blade Runner’ est entre d’excellentes mains !

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"Story of Your Life" Day 46
Photo: Jan Thijs 2015

Cannes 2015 : épisode 3

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‘Sicario’ : conférence de presse avec Emily Blunt, Denis Villeneuve, Josh Brolin

Sélection Officielle, en compétition : après un impressionnant ‘Mad Max : Fury Road’ (revu une seconde fois et en 3D cette fois : waouh !), voici un autre choc de Cannes 2015 : ‘Sicario‘.

Cannes 2015 - Sicario-affiche

Le réalisateur Canadien Denis Villeneuve se hisse au niveau des grands. Son nouveau film, qui traite d’un aspect de la guerre contre la drogue le long de la frontière entre les USA et le Mexique, se situe idéalement entre le ‘Zero Dark Thirty’ de Kathryn Bigelow et le ‘Traffic’ de Steven Soderbergh. On suit un agent du FBI (Emily Blunt) rejoignant une équipe d’intervention dans la traque d’un baron de la drogue qui fait régner la terreur dans la région de Juarez. Mais cette jeune femme idéaliste, pourtant déjà expérimentée à cette sanglante réalité, va voir ses repères moraux et éthiques violemment remis en question. Deux heures de tension sans baisse de régime, casting quatre étoiles (Blunt, Benicio Del Toro et Josh Brolin) et la frontière filmée par le chef opérateur Roger Deakins. Voici un film musclé et qui à coup sûr fera polémique (tout comme le Kathryn Bigelow) à propos des moyens utilisés par les USA dans la lutte contre la drogue. ‘Sicario‘ veut dire assassin, tueur à gage en espagnol. Une créature à sang froid qui s’approche lentement mais surement de sa proie. Et enfin un grand film dans la compétition !

SICARIODay 16

Emily Blunt salue les fans
Emily Blunt salue les fans

Benicio del Toro
Benicio del Toro

Cannes 2015 - Combat sans code d'honneur-AFFICHE

Du côté de Cannes Classics, on ne pouvait pas passer à côté du plaisir de revoir le furieux ‘Combat sans code d’honneur‘ de Kinji Fukasaku, restauré par la Toei en copie neuve numérique 4K qui respecte le grain d’image d’origine (prochainement distribué en France par Wild Side, qui avait édité le dvd il y a un moment). Affrontements sanglants et trahisons en série chez les yakuzas dans le Japon miséreux de l’après-guerre. Toujours aussi efficace sur un bel écran !

Cannes 2015 - Green Room-01

Quinzaine des Réalisateurs : décidément, pas moyen d’accrocher à l’Américain Jeremy Saulnier (‘Blue Ruin’), pourtant célébré un peu partout. Son nouveau film ‘Green Room‘ (avec Anton Yelchin, Imogen Poots, Patrick Stewart) est à Cannes. L’histoire d’un groupe de punk-rock US en galère de concerts et qui se retrouve à jouer dans une salle fréquenter par des punks nazis. Evidemment, cette rencontre va virer à l’affrontement, sous la forme d’un film de siège. Le groupe est témoin de ce qu’il n’aurait pas du voir dans la loge et les skins veulent leur faire la peau… Il semble que le réalisateur ait voulu jouer avec les codes de ce genre de film. Alors qu’on pouvait s’attendre (et redouter) à un énième huis clos virant au torture-porn, on se retrouve face à de nombreux dialogues, à des hésitations aussi bien de la part des assaillants que des résistants (on y va/on y va pas ?), un peu de sang par-ci par-là. Mais que tout cela reste mou ! Quelques plans en début de film annonçaient la couleur : un disque vinyle que l’on commence à jouer mais que le montage coupe aussitôt pour raccorder sur la tête de lecture en fin de face (belle idée d’ellipse temporelle, mais l’énergie de cette musique est évacuée), ou encore le concert punk filmé au ralenti (là encore l’énergie de cette musique et du groupe passent à la trappe). Alors que reste-t-il ? Des personnages sans intérêt, pour lesquels on n’éprouve aucune empathie. Et les quelques pointes d’ironie ne rattrape pas le tout.

Cannes 2015 - le Tout nouveau testament-02

Cannes 2015 - le Tout nouveau testament-affiche

Quinzaine toujours, l’éclat de rire salutaire vient de Belgique et du ‘Tout Nouveau Testament‘ de Jaco Van Dormel. Dieu existe, il habite Bruxelles dans un appartement avec sa femme et leur fille, leur fils chéri J-C ayant connu quelques ennuis… Mais Dieu (Benoît Poelvoorde, dans un rôle taillé pour son talent comique et loin des drames français déprimants) est un salaud qui joue avec un plaisir sadique avec les hommes. Sa fille EA, 10 ans, ne le supporte plus et décide de fuguer sur Terre, au grand désespoir de sa mère la Déesse (Yolande Moreau, excellente), non sans avoir trafiqué l’ordinateur de Dieu-le Père… Elle part à la recherche de 6 Apôtres pour réparer les erreurs du paternel. Voila typiquement la farce parfaite pour souffler durant un festival comme Cannes. Van Dormel apporte un peu d’air frais sous le soleil qui tape fort, osant s’emparer d’un sujet délicat actuellement : la religion. Mais ici aucune méchanceté bien évidemment, il s’agit de rire de la cruauté et des injustices de la vie. La force du film tient essentiellement dans ses moments féroces, grâce au génial Benoît Poelvoorde qui semble se régaler. Car à côté, nous avons droit à de la poésie humaniste à grand renfort d’effets numériques pas très bons. Il s’agit des scènes racontant la vie passée des 6 nouveaux Apôtres (Catherine Deneuve, François Damiens…), filmées avec une vilaine esthétique de publicité pour des assurances/banques/voitures. Poésie et sensibilité en toc, bien loin de la sobriété plus touchante de Kiyoshi Kurosawa ou Naomi Kawase. Le nouveau Testament sera-t-il rock ou bien aux couleurs d’un papier-peint fleuri ? On prie Dieu-Poelvoorde pour veiller au grain.

(photos iPhone : Nicolas NSB)

Cannes 2015 - le Tout nouveau testament-03

Cannes 2015 - le Tout nouveau testament-01