De mémoire de spectateur, il y avait longtemps qu’on n’avait pas assisté à une séance où quelques personnes quittaient la salle avant la fin du film. Ca doit remonter à ‘Irréversible’ de Gaspar Noé. Sans être aussi extrême, ‘Vincent doit mourir‘ met cependant les spectateurs à rude épreuve en racontant le calvaire que traverse son personnage principal. Vincent est employé dans une petite entreprise de pointe où il modélise des intérieurs. C’est un homme banal, sans histoire, peut-être un peu médiocre. Soudainement, le monde bascule : des gens l’agressent sans aucune raison ! Ils sont comme possédés par une force invisible qui les pousse à vouloir le frapper. Les agressions se succèdent si bien que Vincent doit quitter la ville pour sauver sa peau…
‘Vincent doit mourir‘ est un film qui rejoint d’autres productions françaises actuelles redonnant du sang neuf au cinéma de genre de chez nous. Mais contrairement à d’autres cinéastes de cette génération, Stephan Castang n’essaie pas de jouer les premiers de la classe en étalant ses références (style ‘Titane’) ou en s’efforçant de bien cocher toutes les bonnes cases de l’air du temps (comme ‘Acide’). Ici, le réalisateur colle à son personnage principal qu’incarne parfaitement Karim Leklou. Il le suit dans son quotidien qui bascule dans le cauchemar lorsque Vincent ne peut plus regarder quiconque dans les yeux sans risquer de déclencher une rage meurtrière. Une sorte de virus invisible se répand sur le monde, changeant hommes ou femmes, jeunes ou vieux en furies. Vincent évoluait jusqu’alors dans un domaine à la pointe des nouvelles technologies et de la communication, le voici isolé et face à la barbarie. Pas de doute, Stephan Castang à parfaitement compris le cinéma de George Romero et celui de John Carpenter, que ce soit dans l’économie de moyens et dans la recherche d’efficacité. Mais son film, comme dit plus haut, n’est pas celui d’un bon étudiant en cinéma qui vient rendre hommage à ses classiques (même si les références sont bien présentes dans le scénario). Car il sait donner de la chair à ses personnages, les rendre attachants bien qu’ils n’aient rien de séduisant au premier abord. Ainsi, si Karim Leklou n’a pas un visage beau, il a pour lui une gueule de cinéma lui permettant de jouer avec justesse le douloureux chemin de croix que traverse Vincent. Même chose pour Vimala Pons, une actrice talentueuse mais qui ne colle pas aux canons de beauté de beaucoup de comédiennes, avec sa petite voix d’enfant dans un corps d’adulte. Ce petit décalage étrange enrichit son jeu et donne un caractère authentique à Margaux, la serveuse qui croise la route de Vincent. L’histoire de ‘Vincent doit mourir‘ réveille pas mal de choses chez les spectateurs avec ce virus invisible qui vous oblige à vous isoler, tout le monde peut être infecté et il n’y a plus de bons ou mauvais. Les repères de la société sautent. La violence peut surgir brusquement, avec sauvagerie. Pas de doute, Stephan Castang est en prise moins avec l’actualité la plus brûlante qu’avec l’ambiance de notre époque. Si son film n’est pas aussi épouvantable, comme on peut l’imaginer, qu’un certain montage d’images authentiques qu’ont pu visionner certains journalistes et parlementaires tout récemment, il vous remue et vous travaille en quittant la salle. Si le genre se rattache au fantastique, le style se veut réaliste et authentique. Et puis le réalisateur et ses scénaristes ont l’idée formidable de ne pas révéler l’origine de cette épidémie de folie meurtrière, tout comme le fit Romero avec ses zombies. Le mystère reste entier et participe à l’attachement qu’on ressent pour ce petit film. Nous sommes là dans du bon cinéma horrifique et qui s’inscrit parfaitement dans le contexte français. Voici un réalisateur qu’il va falloir surveiller de prêt, en espérant qu’il puisse évoluer sans être bouffé par le système (une palme d’or…). Après une présentation à Cannes (Semaine de la Critique), puis à l’Etrange Festival, ‘Vincent doit mourir‘ vient de sortir en salle et est interdit aux moins de 12 ans.